L'étau se resserre dans l’affaire Tapie pour les proches de Sarkozy et de Guéant.

Christine Lagarde, elle-même, a été placée récemment sous le statut de témoin assisté dans l'enquête la visant conduite par la Cour de justice de la République.

Stéphane Richard, patron d’Orange, en garde-à-vue

L'ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde à Bercy est entendu ce lundi dans le cadre de l'affaire Tapie-Adidas par la brigade financière et vient d’être placé en garde-à-vue. Stéphane Richard sera entendu par les trois juges d'instruction du pôle financier saisis du dossier qui tentent de savoir si oui ou non l'arbitrage privé décidé en 2008 en faveur de Bernard Tapie émanait d'un ordre élyséen. Au fil de déclarations officielles et officieuses, l'actuel patron d'Orange a livré plusieurs versions des faits.

Un dossier instruit depuis deux ans sur l’arbitrage de l’affaire” Adidas” par la ministre de l’Economie, actuelle directrice générale du FMI, Christine Lagarde, qui a rapporté à l’ex ministre de la Ville de Mitterrand 241 millions d’euros. Nicolas Sarkozy est il intervenu dans la décision ? Ses agendas de l’époque indiquent dix-huit rendez-vous entre Bernard Tapie et le chef de l’Etat.

Un arbitrage sur "instruction" de Claude Guéant

Stéphane Richard devait être entendu en détail sur le rôle de Bercy et de l'Elysée. Il n'y a eu "ni ordre, ni instruction, ni pression particulière" de l'Elysée pour aller à l'arbitrage, avait affirmé à plusieurs reprises l'ex-directeur de cabinet de Christine Lagarde, l'actuelle patronne du FMI, qui était ministre de l'Economie à l'époque.

Selon le Canard Enchaîné, Stéphane Richard a soutenu le contraire au journal satirique, évoquant une "instruction" transmise par Claude Guéant, alors secrétaire général de l'Elysée, lors d'une réunion en 2007 avec lui-même et Jean-François Rocchi, président du Consortium de réalisation (CDR), la structure chargée de solder le passif du Crédit lyonnais.

Une secrétaire particulière, particulièrement efficace.

Et fidèle. Puisqu’elle suit l’ex-président depuis qu’il fut élu maire de Neuilly. Depuis ce temps là, tout est noté dans ses agendas ; les noms, les dates, les heures. C’est ce qu’a découvert le juge Jean-Michel Gentil lorsqu’instruisant l’affaire Bettencourt, il a fait saisir les agendas de Nicolas Sarkozy dans le cade de son enquête. Puis, y découvrant des pièces qui pourraient être liées à l’affaire “Adidas”, il les a transmis à ses trois collègues parisiens instruisant l’autre enquête : l’arbitrage dans le conflit opposant Bernard Tapie au Crédit Lyonnais, dans le cadre de la vente d’Adidas?-.

Les agendas relancent l’affaire

Fort intéressés par ces documents, les magistrats les exploitent et décident, ces dernières semaines, d’effectuer des perquisitions aux domiciles de Bernard Tapie, des trois arbitres dont la décision lui fut favorable - Pierre Mazeaud, Jean-Denis Bredin et Pierre Estoup -, chez Stéphane Richard, l’ex directeur de cabinet de l’ex ministre Christine Lagarde et, pour boucler la boucle, chez les deux avocats des parties en conflit, Maîtres Maurice Lantourne et Gilles August.

Dix-huit rendez-vous entre Bernard Tapie et Nicolas Sarkozy

En 2007, c’est l’année où l’affaire est en arbitrage. Du 8 janvier au 23 avril de cette année, juste avant l’élection présidentielle, les deux hommes se rencontrent six fois. Puis, après l’élection, douze rendez-vous sont notés, entre le 15 juin 2007 et le 21 novembre 2010. Faut il souligner qu’à cette époque, Bernard Tapie n’est plus un politique, plus un dirigeant d’entreprise majeure, plus un relais d’opinion, et encore moins un associatif.

Autre bizarrerie ; le 16 novembre 2007 correspond à la date où un compromis est passé entre le Consortium de réalisation (CDR), qui a été conçu pour gérer les règlements des contentions de la banque et le liquidateur du groupe Tapie. Lors de ce rendez-vous, les deux parties acceptent, pour la première fois depuis le début du conflit, qu’un arbitrage ait lieu. Or, le lendemain, un samedi, Bernard Tapie est en rendez-vous à l’Elysée.

Une vieille affaire qui lie les deux hommes

Alors que tous les ministres de l’Economie ont choisi de s’en tenir aux enquêtes de justice, Nicolas Sarkozy, lorsqu’il prend cette fonction en 2004, est persuadé du contraire ; il faut un accord à l’amiable et va favoriser la mise en place d’une médiation ; "Ce que nous souhaitions, rappelle l'un de ses collaborateurs directs, c'était en sortir au plus vite, à un moindre coût pour l'Etat."

Des documents émanant des services du ministère viennent encourager une médiation reposant sur un accord entre les parties. Ils alertent en effet sur le "risque financier" lié à la procédure judiciaire et sur "le manque de transparence" des opérations de la banque.

A cela s'ajoute une note de Claude Guéant, à l'époque directeur du cabinet du ministre Sarkozy. Elle s'inspire d'une étude juridique du parquet général de la Cour d'appel de Paris, alors dirigé par Jean-Louis Nadal. Celle-ci se prononce sans ambiguïté pour la recherche d'un accord. La médiation est donc lancée le 12 novembre 2004 mais débouche sur la volonté des deux parties de refuser cette médiation. Peine perdue pour le ministre Nicolas Sarkozy ; ce sera bien à la justice de trancher.

Ce qu’elle fait le 30 septembre 2005, quand la cour d’appel de Paris rend son arrêt ; les juges donnent raison à Bernard Tapie. Et lui attribuent une provision de 135 millions d’euros de dommages et intérêt. Mais, cerise sur le couscous, la décision n’est pas définitive, puisque le CDR demande la cassation du jugement et, autre étrangeté ; les projets d’arrêts du conseiller rapporteur se retrouvent sur internet avant le passage en cour de cassation. Résultat des courses ; l’affaire est cassée et renvoyée devant une cour d’appel pour un nouveau jugement.

Tapie reprend le lobbying...

et le démarre à la fin de la présidence de Jacques Chirac en sondant de nombreuses personnalités et des proches du gouvernement. Le résultat est encourageant puisque le ministre de l’Economie de l’époque, Thierry Breton, reçoit une proposition de ses collaborateur envisageant le recours au tribunal arbitral. Mais ce dernier est plus que partagé et, in fine, ne donne pas suite ; "Il apparaît contraire aux intérêts du CDR et de l'Etat, est-il écrit dans ce document, d'accepter la proposition des liquidateurs du groupe Tapie de régler l'ensemble des contentieux dans le cadre de la procédure arbitrale, eu égard aux risques évidents qu'une telle procédure présenterait pour le CDR."

Bernard Tapie garde l’idée d’un arbitrage en tête. Durant la campagne des présidentielles, il rencontrera donc le candidat Sarkozy six fois, n’oubliant pas que ce dernier avait été favorable à un arbitrage lorsqu’il dirigeait le ministère de l’Economie.

Tous les obstacles jusque-là édifiés devant la désignation d'arbitres s'effacent les uns après les autres. A l'automne 2007, le CDR lui-même tourne casaque. Il se prononce par quatre voix contre une en faveur de l'arbitrage, auquel il s'était toujours refusé avec constance. Quelques semaines plus tard, un compromis est passé. Trois personnalités sont désignées comme arbitres : un ancien président du Conseil constitutionnel, Pierre Mazeaud, l'avocat et académicien Jean-Denis Bredin et l'ancien premier président de la Cour d'appel de Versailles, un professionnel de l'arbitrage, Pierre Estoup.

La ministre de l’Economie prend le dossier à son compte

Mais, les hauts fonctionnaires de Bercy résistent à cette négociation. Ils pondent notes internes sur notes internes développant le danger d’un tel positionnement. Christine Lagarde n’en tient pas compte ; assistée de son directeur de cabinet, Stéphane Richard, lui-même en liaison avec l'Elysée, elle apporte un soutien sans faille à la négociation.

L'arbitrage est finalement rendu le 28 juillet 2008. Il accorde à Bernard Tapie 196 millions d'euros net de boni et 45 millions d'euros de préjudice moral, non imposables. Hasard ou non, le président du tribunal arbitral, Pierre Mazeaud, est reçu le jour même par Nicolas Sarkozy, à l'Elysée, à 14 h 30. Le 28 novembre, une deuxième décision complète la sentence initiale. Pour Bernard Tapie, cette ultime victoire est presque totale. Il reçoit du CDR 85 % du maximum qui avait été fixé à l'origine du compromis. Un montant de dommages sans précédent.

La bataille politique commence

La somme des 45 millions d’euros de préjudice choque l’opposition, certes, mais aussi le président du CDR, Jean-François Rocchi. La commission des finances, présidée par Jérôme Cahuzac - qui paye peut être aujourd’hui son positionnement de l’époque dans l’affaire du “faux compte en Suisse - se saisit du dossier et transmet ses conclusions à la Cour des comptes. Celle-ci remet en doute l’impartialité de l’un des arbitres, Pierre Estoup. Une facture d'environ 12 000 francs et des rencontres révèlent qu'il est déjà intervenu dans le passé, à la demande de Me Maurice Lantourne, avocat de Tapie, pour le compte de ce dernier. Or il n'en a pas fait mention lors de sa désignation, comme l'y oblige la loi.

La bataille judiciaire recommence

Alors que jean-Louis Nadal, procureur général de la Cour d’appel de Paris, s’était prononcé pour une médiation ; sept ans plus tard, ce haut magistrat promu entre-temps au rang de procureur général près la Cour de cassation a fait évoluer sa réflexion. A quelques semaines de la retraite, il rédige un document assassin contre Christine Lagarde et saisit de son cas la Cour de justice de la République (CJR), apte à juger les ministres. Selon lui, l'ancienne patronne de Bercy s'est rendue coupable d'un abus d'autorité et doit être poursuivie. Ce contre-pied judiciaire suscite la colère du président de la République, Nicolas Sarkozy.

Un autre incident complète ce dernier ; en juillet 2011, une de ses membres demande sa récusation, alors que la Cour s'apprête à rendre sa décision concernant Christine Lagarde. Laurence Fradin, épouse à la ville de l'ancien ministre socialiste Pierre Joxe, a déjà eu à traiter du dossier Tapie lorsqu'elle exerçait à la Cour des comptes. Elle ne s'estime donc pas en mesure de participer à la décision de la CJR. Ce départ imprévu provoque un report d'un mois, jusqu'au 4 août. La veille, les magistrats découvrent sur le site Mediapart l'information selon laquelle Pierre Estoup vient lui-même d'être récusé dans un arbitrage international pour ses liens avec l'avocat de Tapie ! Plus rien, désormais, ne retient les membres de la CJR. L'enquête est donc ouverte.

La fin du quinquennat Sarkozy sonne le début d’une nouvelle procédure “Tapie” ; trois juges d'instruction parisiens mènent désormais l'enquête. Ils recherchent d'éventuels "détournements de fonds publics" et "complicité de faux par détournements d'actes". En clair, ils tentent de vérifier si l'arbitrage a bien respecté les règles et n'a pas été faussé. Les perquisitions menées tous azimuts, notamment à l'un des domiciles de Pierre Estoup, ont permis la saisie de nombreux documents toujours en cours d'examen. Ces magistrats tiennent dorénavant le sort de l'arbitrage entre leurs mains. En cas de trucage avéré, ils pourraient menacer la sentence arbitrale elle-même. Il serait en effet difficile de ne pas l'annuler et ordonner la restitution des sommes allouées à Bernard Tapie, effaçant d'un seul trait vingt années de bataille.

Affaire Tapie : le PDG d’Orange en garde-à-vue
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