Les 7 et 8 juin 1944, la division « Das Reich » (Waffen SS), stationnée dans la région de Montauban depuis le mois d’avril, reçoit l’ordre de faire mouvement vers le front de Normandie. Sur son chemin, elle a aussi pour mission d’aider la Wehrmacht dans la lutte qui l’oppose aux nombreux maquis du Sud-Ouest et du Massif central. 

De Tulle à Oradour, la retraite sanglante de la division « Das Reich »

Dirigées par le général Lammerding, qui mourra dans son lit en 1971, les unités de la division « Das Reich » se sont déjà illustrées par leur cruauté sur le front de l’Est ; en France, elles ont reçu le renfort de soldats alsaciens, les « malgré-nous », enrôlés de force dans la Wehrmacht comme dans la Waffen SS en vertu du décret du 25 août 1942. Face à la détermination des maquis FTP et des combattants de l’Armée secrète, Lammerding choisit la terreur : le 8 juin, il fait pendre 99 otages à Tulle. L’horreur atteint son paroxysme à Oradour-sur-Glane, où Dickmann, chef du 1er bataillon, ordonne à ses hommes de commettre un massacre, d’autant plus arbitraire que ce bourg du Limousin ne constitue guère un foyer de la Résistance : le 10 juin, 642 civils, presque toute la population d’Oradour, à laquelle s’ajoutent 44 réfugiés lorrains, sont assassinés ; les hommes sont fusillés au fond du garage et dans les granges, les femmes et les enfants, brûlés dans l’église. Dès les lendemains de la Libération, Oradour devient le symbole de la barbarie nazie : les ruines du village sont respectueusement conservées ; des visiteurs y affluent.

Les « Malgré-nous » au procès

Mais le procès des bourreaux, qui s’ouvre devant le tribunal militaire de Bordeaux en janvier 1953, est difficile : morts ou en fuite, les principaux responsables sont absents ; surtout, parmi les 21 inculpés, on ne compte que sept Allemands contre quatorze Alsaciens, dont douze ont été incorporés de force dans la SS. En vertu de la loi du 15 septembre 1948, ces derniers sont passibles d’un jugement et leur condamnation est réclamée par les rares survivants et l’ensemble de la population du Limousin, mais l’Alsace unie se mobilise en leur faveur, refusant de distinguer leur sort de celui des autres « Malgré-nous ». Face aux risques que fait peser sur l’unité nationale l’affrontement de deux mémoires, les responsables politiques privilégient la raison d’État : condamnés à des peines de prison et de travaux forcés par le tribunal, les douze Alsaciens sont aussitôt amnistiés par le Parlement. Seuls les députés communistes se sont prononcés en bloc contre cette amnistie. L’incompréhension culmine au moment du procès d’Oradour, où seulement 12 inculpés sont condamnés. L’Alsace est soulagée, mais les habitants et les élus de la Haute-Vienne sont durablement meurtris par ce qu’ils jugent être une « trahison » de l’État. Lammerding, condamné à mort par contumace par le tribunal de Bordeaux, ne sera jamais extradé par l'Allemagne de l'Ouest.

Oradour un village mémoire qui tombe en ruine faute de budget 

Dans le Limousin, les ruines d’Oradour-sur-Glane représentent beaucoup pour les habitants. Cependant, 70 ans après l'horreur, celles-ci commencent à céder et devenir dangereuses pour les visiteurs. La question se pose alors: faut-il tout conserver ou uniquement les bâtiments principaux?
Tous les ans, l’État consacre 150 000 euros à l'entretien des murs d'Oradour-sur-Glane. Le site, devoir de mémoire, voit pourtant tous les jours le temps faire son œuvre et les dégradations naturelles sont de plus en plus visibles. Une architecte des bâtiments de France s'est rendue sur place, au côté du Maire pour constater les réparations possibles ou non: infiltration d'eau, cloison qui s'effondre etc. Le site devient même dangereux à certains endroits. Le maximum est fait pour garder en l'état le plus d'édifices possibles, en respectant le passé de l'endroit, cher à beaucoup de limousins. Cependant, la question est tout de même posée: faut-il garder tous les lieux ou uniquement les plus symboliques? (soit l'église, la rue principale et la grange, par exemple).
Le maire désire tout conserver en l'état, pour une question affective, mais dans ce cas, les fonds devront suivre. L'association des Martyrs d'Oradour, elle, prêche pour une conservation du site tel qu'il est aujourd'hui, tout en effectuant quelques travaux pour la sécurité des visiteurs. Le maire d'Oradour-sur-Glane confirme qu'il interpelle l’État sur la conservation des secteurs symboliques du village martyr. Raymond Frugier propose de déterminer un périmètre d'entretien bien clair autour de la rue principale, de la grange et de l'église où ont péri la majorité des 642 victimes.

L'occasion de la visite du chef de l’État pour sauver la mémoire

En l'état actuel des nécessaires interventions récurrentes sur les ruines du village martyr d'Oradour-sur-Glane, classées monument historique, dont l'architecte des bâtiments de France de la Haute-Vienne est le conservateur, constatant l'accélération exponentielle de leur délabrement, se dresse à très court terme la perspective d'une nécessaire mise à plat des objectifs de conservation du site. A l'heure où l'altération des ruines tend à les rendre au mieux romantiques, au pire muettes, doit-on intervenir de façon radicale pour redonner aux pierres leur aspect de ruine incendiée et entretenir une certaine violence de la mémoire ? Ou est-ce là l'occasion de pardonner la violence des hommes, en offrant au recueillement la poésie d'une nature reprenant ses droits ? Comment accompagner ces ruines, dans le cadre d'un monument historique qui appartient à l’État, de l'évolution d'une commune dont l'identité en est indissociable, et où l'association des familles des martyrs est humainement liée à la pierre ? Le sujet est d'autant plus sensible que nombreux sont les partenaires à inviter autour de la table et à associer aux réflexions : État, commune, association des familles des martyrs, conseil général sont autant d'institutions ayant fort intérêt sur ce territoire, mais de manière trop souvent individualiste. C'est un difficile exercice qui est affecté à l'architecte des bâtiments de France et son service portant sur une problématique de mise en valeur globale et partagée de la commune, dans ses dimensions architecturales et urbaines marquées par l'histoire. Au-delà de la protection d'un patrimoine immatériel, celle d'un événement, la protection du village martyr a aussi permis la préservation d'un village ordinaire du Limousin dans son ensemble, témoin d'une identité urbaine, intégrée dans un système de liaison territoriale, une armature de réseau à l'époque largement usitée, la ligne de tramway de Limoges à SaintJunien, dont seulement ici dans le village martyr d'Oradour-sur-Glane subsistent aujourd'hui, les rails et la gare.

Et que penser de la visite du président Joachim Gauck in-situ?

Le président français François Hollande et son homologue allemand Joachim Gauck se sont rendus à Oradour ce mercredi. François Hollande a rappelé cette semaine le puissant symbole de la venue de M. Gauck au village, dans le cadre de sa visite d’État en France du 4 au 6 septembre. « Oradour-sur-Glane, pour porter le message, le seul qui vaille : ne rien oublier et être capable, en même temps, de construire l’avenir ensemble. Ce sera une nouvelle démonstration de ce qu’est la force de cette amitié » franco-allemande, a déclaré mardi le président à la Conférence des ambassadeurs. Un « travail permanent de mémoire » qui se poursuivra en 2014 avec le centenaire du début de la Grande Guerre.
La venue à Oradour de Joachim Gauck est perçue comme « l’aboutissement d’un très long travail de fond », estime Richard Jezierski, directeur du Centre de la mémoire d’Oradour. Un « symbole extrêmement fort », pour le maire Raymond Frugier, même s’il concède que la visite a peut-être été « diversement appréciée » localement.
Pour Robert Hébras, qui dit avoir été longtemps « habité par la haine et la vengeance », la visite de Joachim Gauck est « extrêmement importante […] la suite logique de la construction européenne », et surtout le bon moment. « Avant, ça aurait été trop tôt », reconnaît l’homme âgé de 88 ans.
Restent, aussi, les cicatrices franco-françaises, comme celles liées à la présence, dans l’unité SS d’Oradour, de treize Malgré-Nous, des Alsaciens incorporés de force, et d’un engagé volontaire. En 2012, Robert Hébras avait été condamné à un euro symbolique de dommages et intérêts pour avoir parlé, dans un livre sur la tragédie, de « quelques Alsaciens enrôlés soi-disant de force » dans les SS. Robert Hébras s’est pourvu en cassation.

Robert Hebras

Robert Hébras qui a guidé les deux présidents lors de la visite du village martyr, pense que c’est « certainement la meilleure façon d’honorer la mémoire des victimes de ce massacre. J’attends du président Gauck qu’il trouve les mots les plus justes pour exprimer les regrets du peuple Allemand face à son histoire. Je ne souhaite ni excuse ni demande de pardon, je sais trop bien que les Allemands d’aujourd’hui n’ont rien à voir avec les soldats nazis qui ont perpétré le massacre. A cet égard je fais toute la différence. Il n’est pas question de pardon, le pardon justement, c’était aux assassins du 10 juin de le demander. Le président Gauck ne porte aucune responsabilité et dans la mesure où il n’est pas de ceux qui ont commis l’abominable il serait ridicule d’exiger de telles choses ». 

Oradour l'étreinte

Le temps des discours

Après une halte dans l'église martyre du village limousin, remarquée et très photographiée, les deux présidents, se lâchant la main, se sont rendus sur l'esplanade du mémorial. Le temps du recueillement et du souvenir est passé laissant la place au temps du discours. François Hollande commence avec un texte sobre : « Vous êtes la dignité de l'Allemagne d'aujourd'hui, capable de regarder en face la barbarie nazie d'hier », a lancé le président français à son homologue allemand, et continuant « Aujourd'hui, votre visite confirme que l'amitié entre nos deux pays est un défi à l'histoire et un exemple pour le monde entier. Et sa force s'illustre en cet instant même à Oradour-sur-Glane. ». Puis, dans une allusion à peine masquée à la Syrie : « C'est pourquoi votre présence, monsieur le président, est bien plus qu'un symbole, c'est une promesse de défendre les droits de l'homme chaque fois qu'ils sont violés près de chez nous ou loin d'ici. »
Dans la foulée, le président allemand a assuré au président français : « Je vous regarde, monsieur Hollande, je regarde les familles des victimes assassinées, je voudrais tous vous remercier au nom des Allemands de venir au devant de nous avec cette volonté de réconciliation. Je ne l'oublierai jamais. (...) Si je regarde dans les yeux ceux qui portent l'empreinte de ce crime, je partage votre amertume par rapport au fait que des assassins n'ont pas eu à rendre de comptes ; votre amertume est la mienne, je l'emporte avec moi en Allemagne et je ne resterai pas muet. Aujourd'hui, l'Allemagne est un pays qui veut construire l'Europe, mais ne veut pas la dominer. ».

Oradour discours

Mon oeil ?  La « Kniefall von Warschau » de Willy Brandt en décembre 1970 devant les ruines du ghetto juif de Varsovie, est une des plus émouvante et sincère qu'il m'ait été donné de voir. Et l'avoeu de culpabilité et l'acte de contrition des entreprises allemandes devra aussi un jour exister de manière aussi intense. Des firmes comme BASF, Agfa, Daimler-Benz, Bayer, Krupp, AEG, Bosch et les autres, devront elles aussi rendre des comptes aux générations futures et à l'histoire quant à leur rôle dans des massacres tel que celui d'Oradour : munitions, véhicules, armes, gaz, moyens de transmission, etc ont contribué au bon fonctionnement de cette machine barbare . Le Canard consacrera bientôt un papier à ce sujet.

On regrettera aussi, le peu de cas fait des « Malgré-nous » lors de cette journée qui se voulait réconciliatrice.

Tous les 30 ans les jolis mois de septembre de la réconciliation ?

14 septembre 1958 Adenauer et de Gaulle à Colombey-les-Deux-Eglises, 22 septembre 1984 Kohl et Mitterrand à Verdun, 4 septembre 2013 François Hollande et Joachim Gauck à Oradour-sur-Glane. A chaque génération, son fragment de réconciliation, de méa-culpa, qui tente de faire oublier les trois conflits franco-germaniques qui ont marqué l'Europe et le Monde en moins de 100 ans. Prochaine étape plus rapprochée, la commémoration du centenaire du premier conflit mondial, mais là, la France et l'Allemagne auront des comptes à rendre à l'Europe.

 

Cette journée à Oradour est cependant paradoxale. Qu'un pays qui prépare une guerre parle de paix, c'est du Clausewitz en direct sur nos télévisions et écrans high-tech.

Durée 00:02:02 © AFP Sept 2013

Oradour sur Glane - 4 septembre 2013

Les présidents allemand Joachim Gauck et français François Hollande se sont recueillis, main dans la main, mercredi 4 septembre dans l'église d'Oradour-sur-Glane, théâtre en 1944 du pire massacre nazi en France occupée

Oradour entre souvenir et amnésie
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